Quelque part sous les landes de Sidimote - Base d’expérimentation des sciences comportementales au combat- An 637- Le Jour – 05 heures 23 minutes et 52 secondes.
« Soigner, je suis née pour soigner… pas pour tuer… »
Mots douloureux et lancinants pour qui n’aurait du être qu’un objet de science. Je ne suis au final rien…Ni soigneuse, ni combattante.
Mon parcours est bref, marqué par les ruptures.
Le jour de mes onze ans tout d’abord.
Un sacrieur, Monsieur Charly, vêtu élégamment d’une cape sombre et d’un haut de forme, est notre invité.
Nous sommes tous les huit dans la maison familiale au village d’Amakna. La solide table en frêne regorge pour l’occasion de fruits et légumes divers, de viandes et de savoureuses briochettes.
Mes parents, tous deux paysans, ne nous ont pas habitués à tant de luxe. Mais, aujourd’hui est un jour particulier. Celui de mon départ avec cet individu, contre 5 000 kamas et l’assurance d’une bonne instruction. Mes parents sont rassurés. Un avenir s’offre à moi et les mois à venir seront moins rudes avec une bouche de moins à nourrir. Les temps de concurrence internationale sont rudes et font chuter les cours des ventes. La ferme familiale n’est plus assez rentable et femelle est trop féconde. Mon départ pour cette école semble être de bon augure.
Je me rappelle fugacement notre voyage nocturne, arrachée peu avant des bras maternels, les yeux ensommeillés.
L’école était réputée selon Mr Charly pour être un établissement moderne où je pourrais apprendre la magie blanche des soins. Mes parents n’avaient jamais été initiés aux sorts fabuleux de nos ancêtres et depuis toute petite, je rêvais que l’on m’inculque ces savoirs oubliés.
Mon arrivée est des plus surprenantes.
L’école est souterraine, et bien plus que cela, ce n’est pas une école.
Divisé en blocs protégés par des sas, l’établissement tente de façon indépendante des expériences afin de vendre les guerriers performants aux Armées.
A l’aide de bourrage de crâne d’images et de sons, en imposant des privations de lumière, en imposant des lectures répétitives et invraisemblables, ils tentent de faire sombrer leurs victimes, repérées pour leur personnalité sensible et malléable, vers la haine et la soif du sang.
Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Mais, leurs tests ne semblent pas fonctionner. Je les vois qui se grattent le crâne, me regardent l’air dubitatif. Hier, là où mes comparses lobotomisés se sont rués sur un troupeau de sanglier des plaines, sectionnant leurs trachées à coups de dents, j’ai développé un trouble. Je me suis mise à zeuzoter et à gigoter en spasmes… Je ne peux pas tuer, je ne sais pas, je ne veux pas……
« Soigner, je suis née pour soigner… pas pour tuer… »
Il faut que je parte… La fuite ou la mort, mais pas ça !
Tous les jeudis, à 05 heures 30, le centre est rapatrié en nourriture et matériels divers par convoi de chariotes remportant en échange les sacs de déchets produits durant la semaine écoulée.
Cela nécessite de se dissimuler dans les ordures auparavant, de percer discrètement le sac pour l’air vital et d’implorer le Dieu Eni qu’il me reconnaisse parmi les siens… Même si tout reste à faire pour que Eni je devienne.
(…)
Je ne peux plus respirer, mes poumons se remplissent d’une cohorte de poussière de détritus. Les relents forts et aigres me tournent la tête.
Je ne connais pas la destination des chariotes, je panique…. Il me semble que nous sommes partis depuis des heures.
Mais nous sommes partis… Je suis partie ! Mon cœur palpite de bonheur et de crainte.
Plouf ! Plouf !
On est arrivé ! Mais, ils jettent les sacs à la flotte !
Soudain, c’est mon tour d’être balancée par une main inconnue à l’eau.
Je déchire rapidement le sac. Je dois être en bord de mer… Tout va bien, ne pas paniquer.
Je sors discrètement la tête de l’eau. Je suis au port, je me souviens de ce port !
Ayant attendu que le convoi soit reparti, je me hisse sur le ponton le plus proche et secoue mes ailes. Mes yeux se plissent, longtemps que je n’ai pas vu le soleil !
La joie simple, je serai toujours heureuse désormais, j’en suis persuadée. Il me suffit de trouver un boulot de larbin me permettant de subsister et me laissant le temps de m’entraîner.
« Larbin, larbin ? Mais, par où commencer cette grande carrière ? »