Il faisait nuit, il faisait froid. L'Ecaflipette avait les yeux de la couleur de la lune, qu'elle regardait tristement. Sur un rocher près d'une rivière elle trempait machinalement sa main dans l'eau. Sa canne à pêche posée non loin et un sac rempli de crabes sourimis écrasant le dos de sa dragodinde étaient le seul paysage qu'elle n'admirait pas. Elle regardait Madrestam, les fenêtres qui s'allumaient, qui s'eteignaient, les crabes qui se dandinaient ... Elle regardait le ciel, comme à son habitude rempli d'étoiles, gouverné par la majestueuse lune ... Elle regardait le château d'Amakna, non loin, elle observait les tours qui ressemblaient à des pics maléfiques sortant des énormes fortifications amaknéennes ... Elle regardait la rivière, calme, inperturbable, qui suivait obstinément son cours ... Parfois elle fermait les yeux et s'imaginait un ailleurs différent, elle voyait de longues plaines, des étendues herbeuses à perte de vue, des bâtiments illuminés dominant un paysage équilibré ... Puis elle les rouvrait et revenait à la réalité. Elle ramassa sa canne à pêche, pris les rennes de sa dragodinde et s'en alla, d'un pas tranquille vers sa petite maison. Elle marcha longtemps, se salissant les pattes sur la terre glaiseuse, mais inperturbable et ne laissant voir aucun signe de fatigue, elle continuait. Puis sa monture trébucha, tout alla très vite, un rocher ayant échappé à la vigilance de l'animal l'avait fait basculer en avant, les crabes tombèrent du sac et s'éparpillèrent aux environs. Lyta s'en pris un sur la tête et sourit, un petit sourire qui remplissait les journées, qui en enclenchait un autre, qui en détruisait un, son sourire.
"C'est malin, ils sont tout sales maintenant, invendables."
Elle sauva ce qu'elle put mais ... elle ne voulait plus rentrer chez elle ; elle détacha sa dragodinde qui, très vive, comprit qu'elle allait devoir rentrer seule. Elle courrut en vue de se reposer dans son étable bien confortable, laissant Lyta seule. Prise d'une énergie nouvelle elle fit demi-tour vers Madrestam, arrivée là-bas elle sauta dans le premier bateau venu, déposant une bourse de kamas dans le sac d'un veilleur endormi. Elle rama de toutes ses forces, mais son manque d'expérience se fit cruellement sentir : elle mit quelques minutes à comprendre le mouvement, mais une fois celui-ci en tête elle tourna la tête et se dirigea vers l'horizon. Elle resta trois jours à ramer, courbaturée et exténuée, mais inperturbablement décidée à y arriver. Arriver à quoi ? A mourir stupidement ? A laisser derrière elle ses amis ? A gâcher sa vie à peine commencée ? Non, elle sentait en elle l'âme de sa mère, qui lui transmettait sa légendaire vitalité, et enfin elle aperçut quelque chose à l'horizon. Possédée par l'énergie du désespoir elle rama jusqu'au rivage, ou elle s'affala, endormie.
Elle se réveilla en croyant rêver, il n'y avait qu'une grande plaine herbeuse à perte de vue, mais aucun des bâtiments idylliques dont elle rêvait si souvent. Elle avanca dans ses plaines jusqu'à un arbre, le seul à perte de vue et lut gravée dans son écorce l'inscription CALABRE. Le nom du lieu sûrement, ou un mot qui dans une langue inconnue voulait dire "Va-t-en Lyta tu n'as rien à faire ici", elle s'en fichait. Elle y resta des jours durant, perdant la notion du temps à manger ses fruits amères, et en prenant le chemin du retour elle avait pris sa décision. Fourbue, elle débarqua dans le port au poisson à l'aube, deux de ses amis l'attendaient.
-Mais Lyta, ou étais-tu passée ? Tu es folle de disparaître comme ça !
-Tu nous as fait une de ces frayeurs ...
-Roh tais-toi, l'important est qu'elle soit là, tu vas bien ?
-Oui, merci ...
-On va te reconduire chez toi.
Mais ces deux amis étaient les seuls qui allaient rester à ses côtés désormais, les autres n'ayant même pas remarqué son départ furent rayés de sa vie, sans ménagement de sa part. De retour chez elle, elle nettoya de fonds en comble et s'occupa de ses animaux. Elle voulait changer, mais trouver un groupe d'aventuriers basé sur autre chose que sur ces besoins matériels qu'elle haïssaient promettait d'être difficile... Toutes ces Guildes qu'elle avait connue, certaines interessantes mais au fond toutes identiques, mornes et pâles. En discutant avec ses amis, ils lui dirent qu'ils n'en savaient trop rien, qu'ils ignoraient ce qui lui conviendrait. Elle décida donc de chercher par elle-même. Quelques jours plus tard elle avait trouvé, fière de cela elle leur annonça.
-La Caravane du Silence ? Pourquoi ?
-J'aime leurs principes.
-Oui, moi j'en fait partie.
-J'y étais aussi, il y a assez longtemps maintenant.
-Vous pensez que je peux essayer de les contacter ?
-Bien sûr, ils ne vont pas te manger tu sais.
-Pas sûr, hihi.
-Roh arrêtez, je parle sérieusement, je suis assez timide et je ne les connais pas vraiment ... j'ai peur de faire une bêtise.
-Vas-y on te dit, si tu veux faire partie de leurs rangs alors prend ton courage à deux mains.
-Bon d'accord.
Elle chercha le campement de ces Caravaniers dans tout Amakna et finit par le trouver ; elle les observa de loin et se décida de plutôt leur écrire une lettre. Elle rentra chez elle pour s'appliquer à la rédiger, et l'envoya ensuite par l'intermédiaire d'un tofu voyageur (gratuit évidemment), la petite missive disait :
Bonjour à vous chers Caravaniers,
Je me nomme Lytai Sivene, mais on m'appelle Lyta. Je suis une jeune Ecaflipette sans Guilde à la recherche de personnes accueillantes. J'ai souvent entendu parler de vous et de ce que vous organisiez en Amakna, cela m'a beaucoup plu, je dois l'avouer. J'aimerai savoir si il serait possible de vous rencontrer. Pour faire plus ample connaissance. Pourriez-vous joindre la réponse à ce tofu, il saura ou aller, et désolée du désagrément encouru, je lui ferai prendre un bain un de ces jours.
Au plaisir de vous rencontrer,
Dame Lyta.